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The Pan African Music Magazine
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PAM présente le film : Tiken Jah, le descendant de Fakoly

PAM consacre un nouveau documentaire à l’un des héros africains du reggae. 30 ans après son premier album, le descendant de Fakoly nous ouvre les portes de son club à Bamako, et de sa ferme à la campagne, au milieu de ses animaux.

« Quand je regarde le ciel, la terre, les arbres… comment c’est beau, comment on a été fabriqués nous les humains, comme on est beaux, quand je regarde comment la nature est magnifique, comment elle fonctionne, comment les abeilles vont butiner les fleurs pour en faire du miel… quand je vois tout ce système je me dis : Dieu est fort. Je chante sa force et la beauté de toutes ses créatures, et pour moi on n’a pas besoin de passer par une religion pour voir que Dieu existe, parce qu’il a créé tout ça… le gars il est fort quoi ! » nous confiait Tiken Jah Fakoly en 2022, à l’heure de la sortie de son dernier album Braquage de pouvoir. Le reggaeman, installé à Bamako depuis 2003, s’est construit son petit paradis à quelques dizaines de kilomètres de là, en suivant la route qui file vers la frontière guinéenne. Autour de lui, des paons, une biche, des moutons, se promènent en liberté dans la concession. « Pour nous les rastas, je pense que ce sont des êtres qui ne sont pas très loin de nous, donc ils méritent respect et considération »  explique-t-il tandis qu’il leur donne à manger. Car c’est bien un autre visage, moins connu que celui de la star du reggae arpentant les scènes du monde, que nous dévoile ce documentaire de Jessie Nottola. Un Tiken Jah qui quand il quitte Bamako redevient,  comme il le dit dans le film, « Moussa Doumbia (son nom à l’état civil) dans la nature ». Les paysages de savane lui rappellent Gbeleban, le village de son père où il a grandi, dans le Nord de la Côte D’ivoire, à quelques pas seulement de la frontière guinéenne. C’est d’ailleurs non loin de là, à Odienné, qu’il a débuté sa carrière… et qu’il s’est, déjà, forgé à la lutte. Car quand on vient de si loin, percer à Abidjan est un vrai parcours de combattant.

 ©Jessie Nottola

Odienné-Abidjan : les débuts du descendant

Le jeune Moussa a tout juste vingt ans, et avant de produire sa première cassette, Djely, il lui faudra bien cinq ans durant lesquels il aura tout fait, à Odienné comme à Abidjan où personne alors ne l’attend : chanteur parfois, mais aussi apprenti gbaka – celui qui à bord des mini-bus collectifs, encaisse le prix du transport et à chaque arrêt hurle la destination finale pour attirer les clients. Il aura aussi organisé ses propres concerts, sauté en marche à bord d’une caravane de la paix faisant tourner des artistes dans tout le pays, volant la vedette aux stars de variété au point que certains tenteront de le faire descendre. Quelque temps plus tard, lui et son groupe, les Djelys, sont repérés à l’occasion du tremplin Marlboro Rockin’ qui leur ouvre les portes de la télévision. Et puis, quand enfin sort « Djeli », sa première cassette, il faut encore graisser la patte de bon nombres d’animateurs radios qui imposent « leur douane », à de rares exceptions près. Mais quand ça veut pas… 

Houphouët-Boigny, le père de la Nation, celui qu’on voyait tous les jours à la télé depuis que la télé existait en Côte d’Ivoire, s’en va pour le pays des ancêtres en décembre 1993. La nation est en deuil, à commencer par la radio, qui ne joue plus que de la musique funèbre. Pas facile dans ces conditions de faire la promo d’un album qui vient juste de sortir. Aussi, dès l’année suivante, Tiken et les Djelys sortent Missiri, leur second album. Le chanteur se souvient qu’à l’époque, sur la route entre Abidjan et Bouaké, il vendait ses cassettes, parfois à crédit, et à son retour en encaissait le prix. Il faut parfois savoir faire preuve d’inventivité et de souplesse en matière de marketing musical.

Nous sommes au tournant de l’année 1995, et la situation politique ivoirienne se tend, prise dans les conflits de succession qui ont suivi la mort d’Houphouët et qui vont longtemps, pendant près de 20 ans, mener le pays dans le mur. Mais rares sont ceux qui voient alors aussi loin. Tiken, lui, s’en fait le témoin et le chroniqueur, et c’est ainsi, après l’élection d’Henri Konan Bédié en 1995, que sort l’album qui va le faire exploser en Côte d’Ivoire et dans les pays voisins : Mangercratie (1996).

Allez dire aux hommes politiques qu’ils enlèvent nos noms dans leur business,
on a tout compris.
Ils nous utilisent comme des chameaux, dans conditions qu’on déplore,
Ils nous mènent souvent en bateau vers des destinations qu’on ignore.
Ils allument le feu, ils l’activent, et après ils viennent jouer au pompier,
on a tout compris

« Mangercratie » – Tiken Jah Fakoly (Mangercratie – 1996)

Certes, la chanson a une portée universelle, mais dans le contexte ivoirien, elle résonne de manière particulière : Bédié a été élu, mais au prix de tripatouillages qui entachent son élection, dont il est parvenu à exclure l’un de ses rivaux, Alassane Ouattara, l’ancien premier ministre d’Houphouët. L’ivoirité, un concept politique qui voudrait faire le tri entre les vrais ivoiriens et ceux dits « de circonstance », forgé par un groupe d’intellectuels proches de Bédié, naîtra de ces batailles de succession pour le fauteuil présidentiel. Et la critique de ce concept hautement inflammable sera bientôt au centre des chansons de Tiken Jah. Mais n’anticipons pas, car si Mangercratie se distingue par ses piques contre la politique politicienne, une constante de l’œuvre de Fakoly, le rappel de ses racines mandingues y figure lui aussi, installant un de ses autres thèmes fétiches qui irrigue toute son oeuvre.  

Fakoly « à la grande bouche »

C’est que l’histoire du Mandingue (cette vaste région qui, après le XIIIème siècle, s’étendra sur une bonne partie de l’Afrique de l’ouest) lui est chère. A elle seule, l’épopée de son héros fondateur, Soundiata Keita, incarne les valeurs fondamentales d’une culture et d’une civilisation, définit les rôles sociaux et les relations de parenté à plaisanterie (sanankuya) qui garantissent la paix entre les grandes familles, mais aussi entre les peuples qui vivent sur ce vaste territoire. Dans l’épopée chantée par les griots huit siècles après Soundiata, le nom de Fakoly a une place particulière.

« Mon ancêtre a joué un grand rôle dans la libération du peuple mandingue, raconte Tiken Jah dans le documentaire, c’est pourquoi nous (les Fakoly) sommes considérés comme des grands hommes au Mandingue ». Le reggaeman n’exagère pas : dans la tradition, Fakoly Koumba, Fakoly Dâ Bâ (Fakoly à la grande bouche, Fakoly à la grosse tête) était le neveu de Soumahoro Kanté, qui avait soumis les royaumes de la région et que Soundiata allait combattre. Fakoly entra en rébellion contre son oncle, qui avait kidnappé sa femme, et rejoignit les troupes de Soundiata, pesant de tout son poids dans la victoire finale. On l’a compris, Fakoly n’est pas n’importe qui, tout comme les Camara, les Kouyaté, les Traoré, les Cissé etc… qui ont leur place dans cette fabuleuse histoire. Cet enracinement dans une région et ses traditions est important pour le chanteur, qui rappelle la généalogie des Fakoly dans la chanson « Le descendant » (interprétée en live dans le documentaire) et consacrera également une chanson, « Soundiata », à  l’empereur mandingue dans son album suivant, justement baptisé « Cours d’Histoire » (1999) mais aussi dans « Alloumayé » un peu plus tard.  

Je suis le descendant de Fakoly,
Je ne sais pas où je vais mais je sais d’où je viens

« Le descendant » – Tiken Jah Fakoly (Mangercratie – 1996)

A Siby, là où il se ressource, sa ferme regarde l’arche de Kamandjan, un trou béant dans la falaise dont la légende veut qu’il ait été percé par le poing de Kamandjan Camara, roi de Siby et compagnon de Soundiata. Tiken Jah qui se sent « un vrai malinké » a décidé de se ré-enraciner dans cette région historique, et ses références répétées à l’épopée glorieuse rappellent qu’avant la colonisation, l’Afrique possédait sa propre histoire, ses royaumes et souverains, ses trésors de civilisation. Après un siècle de lavage de cerveau, il est important de le rappeler à tous ceux qui continuent de souffrir d’un complexe d’infériorité. Ce Fakoly-là, comme son épique ancêtre, a bien une grande bouche, et il continue de l’ouvrir pour mettre le doigt sur les maux de notre temps.  

© Jessie Nottola

Guerre et paix

Aux luttes pour se faire entendre, dans sa jeunesse, ont succédé tous les combats politiques et sociaux qui concernent l’Afrique, et au premier rang la Côte d’Ivoire. Car l’album Cours d’Histoire faisait aussi référence à l’actualité de son pays, que  les manipulations de l’histoire par les politiciens vont précipiter dans le chaos. « Nationalité » est une réponse aux discours ivoiritaires et xénophobes, et rappelle que la Côte d’Ivoire est faite de peuples qui sont tous, un jour où l’autre, venus d’ailleurs, avant que ses frontières et son nom ne soient entérinées par la colonisation française en 1893. « Donc, poursuit-il dans la chanson, tous ceux dont les ancêtres sont nés après cette date sont ivoiriens. Arrêtez les bla-blas partisans pour éviter de mettre en péril l’unité nationale ». Il ne se fait pas que des amis non plus quand il dénonce les ambitions du général Robert Guei qui, après avoir déposé Bédié le 24 décembre 1999, décide se présenter aux élections d’octobre 2000. Un rappel à l’ordre qui prend le « père Noel en treillis » au mot, puisqu’il y insère l’archive audio de son discours de prise de pouvoir, dans lequel le général assurait « être venu pour balayer la maison » et ne pas vouloir s’éterniser au pouvoir. Il perdra l’élection et sera balayé, comme le rappellera le chanteur dans la chanson « Le balayeur balayé » l’année suivante (2001, dans l’album Françafrique). 

En 2002, ses prises de position antérieures lui vaudront d’être pris pour cible par les escadrons de la mort qui ratissent Abidjan pour répondre à la rébellion armée venue du Nord du pays : ils abattront plusieurs personnalités originaires de la région (comme Camara H) et bien d’autres anonymes supposés favorables à la rébellion. Tiken y échappe de peu. Pas le général Guei, qui est assassiné à Abidjan. Le rasta pas fou, lui, s’exile à Bamako. Et les sujets ne manquent pas : la Françafrique, la néo-colonisation, les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir, la dette et la corruption. « Fakoly à la grande bouche », qui partage biens des causes avec l’association Survie, se risque même dans l’album Coup de gueule (2004) à citer le nom de certains dirigeants en place, comme dans « l’Afrique doit du fric » (« les dédits de Déby, les sales sous de Sassou, les gombos de Bongo, les pots de vins de Sirven…. » ). Il évoque aussi le problème des réfugiés chassés par la guerre, dénonce la fermeture des frontières aux Africains, ou la persistance des côtés sombres de certaines traditions (« Non à l’excision »), tout comme l’exploitation par les pasteurs et les Imams du nom de Dieu pour faire fortune, et plus récemment, par ceux qui tuent au nom de la religion (« Religion », dans son dernier album Braquage de pouvoir) ou s’en servent pour envoyer les enfants mendier dans les rues …  on ne peut pas tout dire ici, la liste est trop longue – celle de ses albums aussi, et la lutte infinie…  

De Bamako, où il ouvre son club « Radio Libre »,  il tourne dans le monde entier et, sur le continent, s’engage en construisant des écoles avec un principe simple : un concert, une école. Autrement dit, les bénéfices d’un seul concert permettent de financer un établissement scolaire. Il y aurait de quoi être fatigué. Mais le reggaeman s’entretient par le sport, et sa foi en l’Afrique entretient sa flamme. D’ailleurs, quand le paix reviendra progressivement en Côte d’Ivoire à partir de 2012, il décidera de rester au Mali qui à son tour s’enfonce dans une crise politico-militaire. Et de « résister, dit-il, avec les Maliens », à présent que le divorce avec l’ancienne puissance coloniale est consommé.

Lui qui est devenu grand-père et dont la barbe a blanchi entre désormais sur scène muni d’un bâton de pèlerin, tel un patriarche. On pense à Moïse. Normal, Tiken à l’état civil c’est Moussa (le nom donné par les musulmans à cette figure de l’ancien testament). Il nous confiait d’ailleurs en 2022, en se rappelant ses débuts : « à l’époque j’avais pas de place pour la sagesse, il fallait se battre et sortir du ghetto, maintenant je suis plus calme… j’ai 54 ans et je dis les choses d’une autre manière que quand j’avais 20 ou 25 ans ». Mais le discours ne s’est pas affadi, et son énergie sur scène non plus : il fallait le voir courir, et même danser, sur la scène de l’Olympia le 14 octobre dernier. Voilà pourquoi on vous invite à le rencontrer chez lui, là où il n’est que Moussa Doumbia, pour mesurer le chemin parcouru et peut-être conclure comme nous : même si la lutte continue, les guerriers ont eux aussi besoin de repos. Pour mieux poursuivre la lutte. 

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